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BOND, le voyou
Il y a un moment dans le film James Bond, qui est si vil, sexiste et triste que cela m'a fait sentir physiquement malade. Si vous n'avez pas vu le film et que vous redoutez un spoiler, partez. Ou annulez vos billets et faites quelque chose de moins horrible à la place. Comme vous arrachez tous vos ongles.
En bref, il y a une jeune femme dans ce film qui est identifiée correctement par Bond (de manière suffisante et maligne) comme étant une travailleuse du sexe qui a été enlevé et réduite en esclavage lorsqu'elle était enfant, par des trafiquants. Elle est maintenant contrainte d'être la copine d'un gangster et est brutalisée [note de moi : pas sûre de la traduction, là...). Elle ne montre aucun signe indiquant qu'elle pourrait être sexuellement intéressés par Bond, juste qu'elle est incroyablement effrayée et malheureuse. Alors, il se glisse, sans y être invité dans la cabine de douche son hôtel, plus tard dans la nuit, comme Jimmy Savile, et silencieusement la baise, parce qu'il s'ennuie.
C'est assez vil. Et tout à fait en désaccord, je l'aurais pensé, avec le Bond de Daniel Craig. Mais il y a encore bien pire, lorsque, attachée avec un verre de whisky sur la tête, dans une hilarante parodie de Guillaume Tell, elle est abattue dans un jeu conçu par le méchant. Nous savions déjà que le méchant était méchant, donc ce n'est pas un moyen de développer l'intrigue. Il s'agissait simplement d'une mort gore, dégoûtante,a busive, dans le style des années 1970s (comme quand Roger Moore a torpillé la belle fille dans l'hélicoptère dans "L'espion qui m'aimait", puis a plaisanté à ce sujet - une scène dont il m'a fallu 35 ans pour m'en remettre) .
La réponse immédiate du "nouveau" Bond au meurtre d'une femme réduite à l'esclavage, maltraitée et malheureuse est de dire "Du gaspillage de bon whisky" (ça doit être l'«humour» dont parlait Daniel Craig quand il a déclaré qu'il souhaitait en remettre dans ce rôle) puis de tuer tout le monde. Il aurait pu le faire trois minutes avant et la sauvée. Mais cela n'aurait pas été aussi drôle, je suppose.
Il est tout à fait incompréhensible pour moi que Macallan (la marque de whisky qu'elle avait sur la tête), ait sans doute payé pour être présent dans la scène, pour être vanté comme un produit de qualité.
Personnellement, j'ai honte, en tant que journaliste, des cinq étoiles que ce film a reçu de la part de tous les critiques moutonniers, qui ont eu peur ou qui n'ont pas été capables de voir au-delà du battage médiatique, son âme pourrie.
J'ai honte, en tant qu'homme, que les femmes sont encore contraintes, au 21e siècle, de regarder des films dans lesquels la fin pour les trois femmes sont :
1) Judi Dench du 'M' meurt et est remplacé par un homme;
2) La jeune victime de violence est baisée par Bond puis tuée pour une plaisanterie, et
3) La jolie fille qui réussit à rester chaste malgré les «charmes» de Bond est récompensée à la fin par un emploi comme secrétaire.
Et j'ai honte, en tant que Britannique, que ce film sera perçu à l'étranger comme représentatif des valeurs qui prévalent ici. Il s'agit d'un film malade, réactionnaire, déprimant et son directeur, Sam Mendes, devrait avoir honte de lui-même.
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Ainsi, James serait le diable en personne, et on ne m'aurait rien dis? Non mais c'est possible hein. Peut-être que mes parents ont préféré me mettre en garde contre les idées toutes faites avant de me mettre en garde contre une oeuvre de fiction à replacer dans un contexte FICTIONNEL?
Alors bon. Soyons clairs, honnêtes et si possibles pas trop pliés de rire pour dire que oui, James Bond est un personnage particulièrement sexiste. Et oui, en 2012, ça peut choquer du monde. Cela dit, il ne faut pas oublier que 1°... James Bond est un personnage issu des oeuvres de Ian Flemming et que Ian Flemming est un auteur du milieu du siècle dernier (grosso merdo) et HEY HO ! Le siècle dernier? Les affiches moulinex et tutti quanti ! "Vous voulez faire plaisir à madame? Offrez lui un moulinex...".
Bon alors déjà, cet aspect sexiste de James Bond, c'est juste un aspect CONSTITUTIF de l'oeuvre de Flemming, ainsi, adapté Flemming au cinéma sans le sexisme de James Bond c'est un petit peu comme... Hm... Hm... Adapter la guerre de Troie au cinéma sans Achille.
Ou faire une adaptation de Harry Potter avec un Harry Potter sans pouvoirs magiques. Mais peut-être que vous ne réalisez pas bien l'aspect constitutif de ce sexisme avec ces exemples précis donc on va être un peu plus violents, prepare toi, accroche toi bien à tes petits mocassins à pompons : C'est un petit peu comme refaire un film "Le Pianiste" alors que le pianiste serait même pas juif.
CA PERDRAIT FORCEMENT UN PEU DE SON INTERET.
Et si tu n'as jamais vu le pianiste, lecteur (et bien il est grand temps d'aller chez Virgin/Fnac/Amazon... (je fais gaffe à bien maintenir la concurrence)).
Donc, voilà. Ensuite, il ne faut pas oublier qu'un film, c'est destiné à faire vendre des places. Or, le public de James Bond, force m'est de constater qu'il est essentiellement masculin or on n'attire pas les mouches avec du vinaigre. La cravate, le pistolet, la voiture, l'affirmation du patronyme "mon nom est Bond. James Bond" et le costume trois pièces sont autant d'éléments qui dans nos sociétés affirment une masculinité imposante.
Or le personnage de James Bond doit être très imposant pour être crédible, or, comme fait-on quelque chose de déjà imposant, quelque chose d'encore plus, imposant? En le mettant en rapport avec d'autres éléments importants qui apparaissent pourtant moindres afin de grandir un peu plus la figure principale, j'ai nommé : la fille.
Revenons en à la fille, deux petits paragraphes. Elle est "identifiée comme une travailleuse du sexe" et oui, il semblerait en effet que James Bond soit capable de reconnaître une pute quand elle en a absolument tous les attributs et entendez par "tous les attributs", le tatouage sur l'intérieur de son poignet droit qui signifie qu'elle appartient à un proxénète de Macao (quoi, vous m'auriez cru capable, moi, de dire qu'une fille portant une robe dos nue, un décolleté plongeant et servant de messagère-appât à un super vilain était forcément une pute? C'est mal me connaître. Il y a certainement des femmes dans le monde qui peuvent porter des dos nus et des décolletés plongeants en même temps, ainsi qu'une arme dans une jaretière et être l'instrument d'un super vilain sans être forcément des prostitutées. Cela dit, avouez qu'au cinéma, ce genre de signes sont rarement équivoques, il s'agit forcément soit d'une espionne ultra-performante genre Angelina Jolie dans Salt ou dans Mrs and Mr Jones (mais ici, l'espion, c'est Bond), soit d'un objet qui suscite le désir afin de grandir la masculinité de Bond.). Lecteur, t'as tout compris ou tu veux un dessin? Oui c'est une pute mais c'est fait exprès.
C'est mieux là? Et pourquoi James insiste sur son enfance malheureuse à elle? Parce que tout ce volet de la série insiste sur le temps qui passe, le poids du passé, la valeur de l'expérience.
Quant à l'invitation qu'elle lance à James sois disant qu'elle était pas DU TOUT intéressée par lui. J'en doute parce que si elle n'avait vraiment pas été intéressée : elle lui aurait peut-être pas filé le nom de son bateau et le numéro de quai. Je dis ça je dis rien. Mais perso dans la rue, quand je suis "pas intéressée" par un mec, j'y file pas mon numéro de téléphone, mon adresse IP et mon numéro de sécu. Cela dit, c'est peut-être une appréciation personnelle.
Et enfin, pourquoi insiste-t-on sur l'enfance malheureuse de la jeune fille? Et bien tout simplement parce qu'à la suite, dans le film, on apprend que Bond aussi a eu une enfance particulièrement sombre et il s'agit de voir un parallèle entre la situation de la fille et de l'espion puisque tous les deux sont réduits à néant par ceux qui prétendaient les protéger, elle est vendue pour servir de pute, lui est "descendu" avec l'aval de l'agent M.
D'ailleurs, l'agent M. M'est d'avis qu'elle ne s'appelle pas M pour "Moteur" ou "Maquillage". Elle s'appelle "M" pour Mummy (ou Maman, en bon petit franco français). Et l'agent qui lui succède s'appelle "M" parce que son nom c'est "Mallory" et d'ailleurs il ne lui succède pas dans le sens ou il prend sa suite de façon linéaire. Il y a eu rupture, l'agent M est morte, et le côté britannique veut que la suite soit assumée d'office. Leur système politique fonctionne comme ça, leurs institutions fonctionnent comme ça, le MI 6 fonctionne aussi comme ça.
-Un indice. James Bond incarne un espion Britannique-
Au cas ou ce détail serait passé à la trappe derrière tout ce sexisme suintant l'ignominie humaine et dégoulinant de testostérone.
La mort de la fille est encore un élément qui vise à faire grandir l'agent Bond (ohohoho, les amateurs de lecture érotique m'en voudront très probablement). Lui dans le film a aussi pris une balle dans le buffet mais il a réussi à se relever. Contrairement à la fille. Il ne s'agit pas de la faire mourir bêtement.
Ensuite, James réagit froidement "Tout ce bon whiskey gâché ..." HEY ! il est anglais, donc il a un humour particulièrement alternatif au notre, et en plus, maintenant qu'elle est morte, tu voulais qu'il réagisse comment? Il a déjà tout tenté pour ralentir le rythme de l'action, pour gagner du temps après avoir enclenché sa radio mais il peut plus reculer ! C'est grosso modo "elle ou lui" sauf que si lui meurt, tous les agents infiltrés de l'Otan sont condamnés aussi. Il en va de la sécurité de la nation.
C'est James Bond, bordel. Pas "oui oui" à la plage ! Le déroulement des actions doit aussi un petit peu servir le scénario. On est au cinéma quand même. Pas chez mamie.
Maintenant parlons un petit peu de l'agent M, c'est une femme qui incarne le role de la Mère (A moins que vous n'ayez pas vu les... deux dernières heures du film ah mais suis-je bête... y'a des gens qui ne l'ont pas vu, le dit film... hohoho) ça n'a pas pu vous échapper.
Revenons un peu sur les faits. Dans cet épisode, James a vieillit, il est affaiblit, il a morflé. Vraiment, il a pris très cher, c'est la fin d'une époque, la fin du Bond tout feu tout flamme, il s'agit de la jouer un peu plus fine qu'avant (l'ingénieur informatique encore boutonneux sert à souligner ce phénomène). Et d'ailleurs, M est la seule femme à laquelle il se consacre. La seule fois ou James "quitte" M c'est pour rester quelques temps avec Vesper qui meurt (CASINO ROYAL), puis pour aller retrouver l'espèce de début de fumier qui lui a fait du mal (QUANTUM OF SOLACE) après, le fils prodigue revient tranquillement à la maison et semble prêt à reprendre du service. Comme si, au fond, la seule figure triomphante de toutes les femmes c'était la femme interdite, l'absolu tabou, la mère, M.
Et ça, Freud l'a bien dis : jusqu'à cinquante ans, ça va encore, mais après, faut un petit peu se bouger le train.
Mais non je déconne.
Enfin, je déconne, je déconne, mais qu'à moitié. Parce que le "grand frère" disons, l'espion chéri précédent de M a déraillé à force de rester sous l'emprise de M et il revient lui faire payer son échec personnel.
Genre le type, il a fait dix ans de psychanalyse et un beau matin il comprend que tout est de la faute de sa mère donc il cherche à la flinguer, normal. D'ailleurs, cet agent, ce super vilain, identifie clairement l'agent M à une Mère. Puisque lui, il l'appelle "maman".
Et alors que la seule personne qui semblait avoir mis des batons dans les roues de M jusqu'à présent, c'était James lui même, il découvre qu'en fait, avant lui elle a vécu des trucs et qu'il doit l'en protéger. C'est l'effondrement de la figure adorée, le crépuscule des idoles (attention, critique de James Bond qui relève de la philosophie de comptoir, désolée!). La fin d'une époque, donc.
Et oui, M meurt, parce que c'est nécessaire. Parce que James doit grandir, au même titre qu'il a grandit brutalement quand ses deux parents sont morts alors qu'il était enfant. Voilà. C'est tout.
Quant à Monneypenny qui finit secrétaire, il faut voir qu'elle participe à l'action avant de devenir secrétaire et que ce n'est pas une promotion. C'est une simple affectation. Elle était en formation et maintenant qu'elle a reçu l'ensemble des codes de la maison elle a choisit elle même de prendre un poste de bureau. Vous pouvez y voir un asservissement de la femme, moi je trouve que ça peut être vu comme ça mais que c'est franchement pas le but du jeu puisque c'est pas une mise à pied. Après tout, c'est quand même pas parce qu'à notre époque l'égalité des sexes est concevable que toutes les femmes doivent devenir des espions de terrain, si? Non parce que dans ce cas j'ai pas vraiment suivi, le bras droit de M, le larbin là. C'est bien un mec?
NON? Putain, ils cachent bien leur jeu les britanniques, ça fait cinquante ans, pourtant qu'on jurerait que c'est un mâle.
Après ce petit article, j'aimerais qu'on se pose deux minutes tous ensembles et qu'on réfléchisse aux fondements mêmes de cette réflexion (et au connard qui a volé le dernier petit gervais à la framboise). Est-ce qu'il faut confronter une oeuvre d'art qui s'inscrit dans la continuité d'une certaine vérité historique de la société (le machisme des années 50, par exemple) aux outils de jugement que la société actuelle met à notre disposition?
Est-ce qu'il faut considérer le sexisme qui transpire de James Bond (soyons honnêtes) comme un sexisme du premier degré au même titre que la belle époque de Roger Moore ou peut-on, aujourd'hui, le voir comme un outils de mise en valeur voir de contestation?
-Prenez une copie double, vous avez quatre heures. Droit à la calculette mais je veux voir les brouillons parce que je vous connais bande de crevards-
Moi ce qui m'agace un peu, c'est pas vraiment qu'on reproche à James Bond quoique ce soit (parce que s'il est vrai que je nourris une affection toute particulière à l'égard de ce personnage, il n'en reste pas moins qu'il peut être critiqué comme toutes choses)... Ce qui m'agace un peu c'est que ce genre de critiques qu'on fait un peu facilement apparait comme un genre de critique absolue. Genre "moi j'ai vu ça alors ce qui serait bien c'est que vous le voyez aussi parce que bon, vous n'avez pas vraiment le choix!".
Et ça m'agace encore plus au nom du féminisme. Parce que certains défendeurs de cette cause (dont, sachez le, je fais partie) se permettent, maintenant que l'égalité Homme-Femme est admise par le nombre, de se passer d'arguments solides, se contentant d'énumérer des anormalités qui devraient sauter aux yeux. Celui qui ne les remarque pas apparaît alors comme une idiot de première catégorie qui ne conçoit absolument pas les préceptes modernes de la société. Mais cocotte, les années cinquante c'était pas si loin ! Et le sexisme est en place depuis le début de la civilisation alors oui, IL VA FALLOIR UN PEU DE TEMPS.
Et ça m'agace encore PLUS parce que c'est en partant de ce genre de petites critiques "absolutistes" et sommes toutes très obscures que du coup, paradoxe ultime, les femmes qui auraient tendance à être "féminines" volontairement et pour elles-mêmes deviennent... des objets de désirs selon les... féministes.
Je vous laisse sur cette réflexion de haut vol, à peu près du niveau de Bernard, pilier de bar avec huit Whiskey-Coca dans le nez.
Signé : La fille en jupe et talons hauts qui regardait des James Bond sans se sentir mal dans sa culotte. Qui pensait qu'avant de faire une critique sur une oeuvre, il fallait au moins un peu la connaître.
@KapitaineFlake.